MÉMOIRE DE CLARENCE WELTON

Sommaire

Le Ministère de la Défense nationale (MDN) a eu la possibilité de réduire considérablement ses coûts liés au transport terrestre. Pour ce faire, il lui aurait suffi de suivre les recommandations issues de la Vérification interne des contrats de transport d’août 2006. Dans cette vérification, le Chef - Service d’examen du MDN conclut que le Ministère doit utiliser l’ensemble de sa « flotte verte » avant de donner à des compagnies de transport privées les services de transport. Cette recommandation n’a jamais été intégralement mise en œuvre. En 2009, le MDN est revenu à ses anciennes pratiques et a décidé de ne pas payer les heures supplémentaires de ses chauffeurs d’autobus et de camions, et d’utiliser plutôt des services en sous-traitance plus coûteux, écartant du même coup sa propre flotte verte.

En 2010, Clarence Welton, un chauffeur de camion qui travaille au MDN, a réalisé et soumis une analyse de rentabilisation, qui a démontré que, si la direction du MDN utilisait la marge de manœuvre budgétaire dont elle dispose déjà, elle pourrait réduire de plus de 300 000 $ (net) les coûts de transport à la BFC Petawawa, en transférant, tout simplement, une petite partie de son budget d’exploitation et d’entretien (F&E) à l’enveloppe des traitements et salaires (ETS)[1].

Après quelques difficultés, M. Welton a pu présenter son analyse au ministre Day, alors président du Conseil du Trésor. Le ministre Day était d’accord avec l’analyse de rentabilisation de M. Welton et a accepté de transférer des fonds à l’ETS, qui n’ont produit que de modestes économies.

Mais ce n’est pas qu’à la BFC Petawawa que le MDN a la possibilité de faire des économies. D’autres bases et escadres partout au pays pourraient profiter de l’initiative de réduction des coûts. Le Ministère sous-utilise sa flotte verte et fait trop souvent appel à des entrepreneurs de l’extérieur. Ce sont les contribuables canadiens qui paient la note. On estime à au moins 1 500 000 $ les économies que pourrait faire annuellement le Ministère, s’il mettait en œuvre un changement somme toute mineur dans quatre emplacements supplémentaires, et encore plus, s’il étendait le projet à d’autres emplacements.

En plus de sous-traiter dans le domaine du transport, le MDN fait de plus en plus appel aux services d’une société mandataire, Construction de Défense Canada, qui lui fournit certains des services immobiliers du Ministère. Financée à 100 % par le MDN, Construction de Défense Canada a, en cinq ans, doublé de taille et embauche actuellement plus de 900 personnes. Son coût salarial annuel dépasse 82 000 000 $.

Selon nos estimations, le recours à la sous-traitance coûterait au MDN 30 000 000 $ par année. Étant donné que le Ministère est surfacturé pour le travail que peuvent accomplir les employés déjà en poste, cette situation mérite d’être examinée.

Le présent mémoire est capital, car il démontre que le Ministère de la Défense nationale peut faire, sans qu’il en coûte quoi que ce soit à la Couronne, des économies de taille, si la direction, les employés et les syndicats décident de travailler ensemble pour réaliser ce potentiel.

Contexte

En 2009, le Ministère de la Défense nationale (MDN) a refusé de payer des heures supplémentaires aux employés (chauffeurs d’autobus et de camions embauchés par le Ministère) chargés du transport du personnel et de l’équipement à la BFC Petawawa. La direction du MDN a déclaré que, en raison des réductions budgétaires, l’enveloppe des traitements et salaires (ETS) était insuffisante pour payer les heures supplémentaires. Le Ministère a plutôt préféré faire appel à des entrepreneurs de l’extérieur pour continuer à assurer le transport à la base. Les fonds pour payer les fournisseurs externes provenaient du budget d’exploitation et d’entretien (F&E).

Les préoccupations croissantes des employés quant à leur sécurité d’emploi, et au gaspillage apparent de l’argent des contribuables ont amené l’un des employés du transport, Clarence Welton, à réaliser une analyse de rentabilisation qui démontre que, avec les ressources internes existantes, les besoins en matière de transport à la BFC Petawawa seraient satisfaits, et ce, pour une fraction des coûts. Selon cette analyse, il ne serait pas nécessaire d’embaucher de nouveaux employés ou de faire l’acquisition de nouvel équipement.

L’analyse de rentabilisation a été effectuée conformément à la DOAD 3004-1, Aperçu des procédures de passation des marchés, laquelle précise que :

« Avant de donner suite à la méthode retenue en matière de marché, il faut sérieusement considérer s’il existe d’autres façons rentables de répondre au besoin (les exemples comprennent, pour ce qui est des services, des options à l’interne comme les heures supplémentaires, l’emploi pour une période déterminée, les détachements temporaires, le travail étudiant, le travail partagé, etc., et pour ce qui est des biens, le recours au stock, les prêts temporaires, la fabrication plutôt que l’achat, etc.)[2] ».

La direction du MDN n’ayant pas donné suite à l’analyse de rentabilisation, qui a révélé des économies significatives et des évitements de coûts substantiels, M. Welton a communiqué avec le ministre Day, président du Conseil du Trésor, et a rencontré ce dernier. Peu de temps après la réunion, des fonds destinés au paiement des heures supplémentaires ont été accordés au Groupe des transports. Les chauffeurs internes ont alors pu accomplir certaines tâches supplémentaires pour lesquelles ils avaient été embauchés. Le coût des heures supplémentaires s’est révélé inférieur à ce qu’aurait payé le Ministère s’il avait utilisé les services d’un entrepreneur de l’extérieur.

Vous trouverez en pièce jointe une copie de l’analyse de rentabilisation, que nous vous invitons à examiner. À partir de trois situations particulières, l’analyse démontre que la Couronne aurait pu économiser 72 000 $ si les ressources internes avaient été utilisées. En 2009-2010, l’initiative de réduction des coûts aurait pu faire économiser 300 000 $ à la BFC Petawawa seulement.

Autres applications de l’analyse de rentabilisation

La BFC Petawawa n’est pas la seule à faire appel à des entrepreneurs de l’extérieur pour répondre à ses besoins de transport. D’autres bases et escadres ailleurs au Canada font de même. Les employés de ces bases et escadres ont consulté leurs collègues de Petawawa afin d’adapter l’analyse de rentabilisation pour qu’elle tienne compte de leur situation particulière.

En employant la méthodologie décrite dans la DOAD 3004-1, et en l’appliquant strictement aux besoins de transport du MDN, on a démontré que, d’ici les cinq prochaines années, des millions de dollars seront économisés.

Par exemple, en transposant à cinq emplacements les économies de 300 000 $ réalisées à la BFC Petawawa, le MDN économisera 1,5 million $, et 7,5 millions $ en cinq ans.

En fait, ces chiffres ne constituent qu’une estimation conservatrice des économies de coûts potentielles. Si, comme l’a recommandé la Vérification interne des contrats de transport d’août 2006 et l’a communiqué le Chef - Service d’examen, la flotte verte était incluse dans la base de données des transports, au Centre national de coordination des charges, on pourrait réaliser des économies encore plus grandes.

Quarante à soixante pour cent du temps, la flotte verte (constituée notamment d’autobus, de camions gros porteurs et de camionnettes) et les chauffeurs qui lui sont affectés ne servent pas. Or, les services de transport fournis par des entrepreneurs du secteur privé sont beaucoup plus coûteux. Cela s’explique par le refus du MDN de payer les heures supplémentaires, ce que confirme une étude menée par le lt V. Larosee, datée du 28 juillet 2010, portant le titre « Cost Comparison Between Use of MDO-5 Vice Contracting », et le sous-titre « Initial Business Plan of 3 May 10 by Mr. C.B. Welton, 2 Svc Bn, Tn Coy, A P1 ».

Points soulevés

La situation décrite dans le présent mémoire soulève trois points :

·         Premièrement, le peu de marge de manœuvre budgétaire du MDN donne lieu à des décisions d’investissement limité, ce qui accroît les coûts à payer par les contribuables.

·         Deuxièmement, même s’il a préparé une analyse de rentabilisation sérieuse, un employé du MDN a eu beaucoup de mal à attirer l’attention de la direction sur le sujet et a dû veiller à ce que l’on ne s’y désintéresse pas.

·         Troisièmement, plusieurs des recommandations relatives à l’augmentation de l’utilisation de la flotte verte énoncées dans la Vérification interne des contrats de transport d’août 2006, réalisée par le Chef - Service d’examen, sont en suspens. De ce fait, le MDN ne profite pas des économies qu’il aurait pu faire.

Premier point : si le MDN s’était contenté de prendre de l’argent de son budget de F&E pour le transférer au budget salarial de façon à couvrir le coût des heures supplémentaires, la gestion n’aurait sans doute pas décidé de faire appel aux services, plus coûteux, d’entrepreneurs de l’extérieur. Mais parce que le budget salarial ne permettait aucune marge de manœuvre, comme mentionné le ministre Mackay à Clarence Welton dans un courriel envoyé en mars 2010, la solution la plus chère a été retenue.

Au MDN, on cherche à économiser sur les salaires et dépenser la totalité du budget de F&E sans tenir compte des aspects économiques. Dans ce contexte, le MDN devrait suivre ses propres directives et, lorsque c’est raisonnable de le faire, transférer des fonds du budget de F&E au budget salarial pour ainsi, choisir les solutions les plus efficientes.

RECOMMANDATION : la direction du MDN devrait être proactive et faire une utilisation optimale de sa flotte verte dans toutes les bases et escadres, avant de faire appel à des entrepreneurs de l’extérieur.

Deuxième point : même si l’analyse de rentabilisation était sérieuse, il a fallu l’intervention de la députée locale, Mme Cheryl Gallant, et du président du Conseil du Trésor, le ministre Day, pour régler cette question. Cela démotive le personnel.

Pendant que le MDN entame son examen stratégique et opérationnel, il devrait donner au personnel la possibilité de participer à plusieurs initiatives de réduction des coûts. Cette pratique doit être encouragée. Toutefois, si la direction est réticente à agir ainsi, le personnel ne voudra plus proposer de solutions efficaces.

RECOMMANDATION : le Bureau du Conseil privé et le Secrétariat du Conseil du Trésor devraient obliger le MDN à travailler avec les syndicats afin d’encourager le personnel à participer à des initiatives de réduction des coûts et de mettre en application les résultats de la vérification de 2006 relativement à la prestation extérieure des services de transport.

Il est malheureux de constater que, pour le public, et même pour la classe politique, la « taille » de la fonction publique est définie par le nombre de postes à temps plein.

Or, on a démontré que la taille de l’équipe était adéquate, mais que, puisque le « budget salarial » était figé, et que le MDN n’a pas fait d’effort pour utiliser la marge de manœuvre dont il dispose, une solution plus coûteuse a été choisie. Si l’actuelle politique du Conseil du Trésor sur le transfert de fonds pénalise les ministères qui transfèrent des fonds de leur budget de F&E vers leur budget salarial, il faudra probablement étudier cette question afin de déterminer le coût réel de cette politique et son impact sur la fonction publique.

Économies supplémentaires

Les économies potentielles ne s’arrêtent pas là.

En plus d’avoir recours à des entrepreneurs de l’extérieur pour le transport du personnel et de l’équipement, la direction du MDN a commencé à utiliser d’autres formes de sous-traitance sans s’appuyer sur les analyses rentabilisation qui s’imposent, ce qui gonfle la note à payer par les contribuables.

De plus en plus, le MDN a recours à une société mandataire, Construction de Défense Canada (CDC), qui fournit une grande part des services immobiliers dans les bases et les escadres partout au pays.

CDC n’a qu’un seul client, le MDN, et tous ses frais (100 %) sont couverts par le Ministère. L’argent pour payer ces frais provient du budget d’équipement ou du budget de F&E. CDC a été créée au départ pour aider le MDN à mener des projets d’immobilisations d’envergure pendant la Guerre froide. Le rôle de CDC consistait alors à passer des marchés et à les coordonner. Au cours des cinq dernières années, le rôle de CDC s’est étendu. Autrefois coordonnatrice des marchés, CDC s’occupe maintenant de la gestion quotidienne des installations et des immeubles. Comme dans le cas des services de transport, des employés compétents au sein même du MDN sont écartés, et plusieurs d’entre eux sont désœuvrés.

Au cours de la même période, le nombre d’employés à CDC a augmenté, passant de 458 à plus de 900 (une augmentation de 96 p. 100). Ces employés sont payés par le MDN, suivant un coût salarial prévu de 82 millions $ en 2010-2011, et de 94 millions $ en 2013-2014[3] (une augmentation supplémentaire de 14 p. 100).

L’expansion de CDC coûte de l’argent au MDN. Pendant ce temps, le personnel de Génie construction (GC) voit ses programmes de formation sacrifiés et l’embauchage gelé.

Après avoir examiné le rôle que joue CDC auprès du MDN, on a demandé à la direction du MDN de fournir des analyses de rentabilisation justifiant le recours au travail du personnel de GC, mais rien n’a encore été fait à cet égard. En revanche, le personnel de Génie construction a préparé des analyses de rentabilisation qui font état de certains services, plus rentables, qui pourraient être fournis à même les ressources internes, mais la direction n’a pas pris le temps d’examiner les documents.

On estime que CDC coûte au MDN et aux contribuables canadiens au moins 30 millions $ de plus par année. Dans cinq ans, cette somme atteindra 150 millions $.

Outre la question de la croissance de CDC, plusieurs cadres supérieurs chargés de diriger le travail de CDC (autant parmi le personnel militaire que le personnel civil) ont quitté le Ministère pour occuper, quelques jours après leur départ, des postes de direction à CDC. Même si on ne peut considérer cela comme une situation de conflit d’intérêts au terme des lignes directrices de la fonction publique, le favoritisme semble flagrant et l’on pourrait affirmer sans surprise que cela a eu un impact sur la décision d’augmenter la quantité de travail confié à CDC.

RECOMMANDATION : dans le cadre du processus de consultations prébudgétaires, nous vous demandons d’obliger la direction du MDN à travailler avec ses syndicats afin d’examiner les coûts engendrés par le recours aux services de CDC. Avec ses 900 employés, tous payés par le MDN, CDC représente un secteur de coûts de premier plan. Il est donc nécessaire de déterminer si les ressources internes sont mieux positionnées pour fournir ces services.



[1] La direction du MDN a validé l’analyse de rentabilisation en juillet 2010.

[2] DOAD 3004-1, Aperçu des procédures de passation des marchés.

[3] Construction de Défense Canada – Rapport annuel 2010-2011.